[Centre Commercial-RP] Derniers instants de joie (ouvert)

Selwyn avait encore quelques heures de liberté avant le début des cours, ce qu’elle considérait comme du temps de perdu car elle bouillonnait d’excitation à l’idée de commencer son entraînement. Malgré de très bons résultats aux tests passés pour entrer dans l’Académie (tests obligatoires lorsque l’on ne peut payer le prix d’entrée), la jeune fille devait se trouver de l’argent très vite si elle voulait continuer à manger à la cafétéria et avoir les livres et autres choses indispensables pour le futur déroulement de l’année. Un boulot à mi temps, n’importe, tout ferait l’affaire. D’ailleurs, cela la connaissait. Son don lui permettait d’être plus habile que quiconque dans tout ce qui était mécanique et son expérience dans le désert à manipuler des objets en pièces détachées l’avait enrichie.

Elle ne réalisait pas encore qu’à peine ce matin elle avait fait ses premiers pas dans l’Académie, qu’elle avait rencontré et déjeuné avec des élèves, qu’elle s’était assoupie dans le parc en faisant une drôle de rencontre et qu’elle avait décidé sur un coup de tête d’arpenter les rues de Black Hole afin de trouver du boulot. Etrangement, elle se sentait sereine dans cette grande mégalopole qui lui était encore inconnue, mais elle se sentait mue par le désir soudain de vagabonder de rue en rue. Elle était enfin seule, sans personne avec qui tenter d’avoir un semblant de conversation. De plus, elle pouvait développer plus facilement son pouvoir sans se faire repérer. Des grains de sable, très peu et à peine perceptibles, s’échappaient de ses doigts et virevoltaient dans l’air et captaient des informations. Elle savait donc où elle était et devinait qu’il n’y avait aucun danger à l’horizon. Elle ne pouvait expliquer son pouvoir, ni comment des grains de sable, connectés à elles, lui transmettaient des données très brèves pour la plupart. Cela pouvait être un son, une image, très souvent floue et qui s’effaçait dans l’instant. Elle marchait d’un pas paisible, jetant un coup d’œil à l’autre vers les devantures des magasins. Parfois une petite annonce demandant de l’aide dans telle ou telle boutique.

« Conseillère en cosmétologie »

*Hm…très peu pour moi, je n’y connais rien et j’aurais trop envie de dire franchement ce que je pense*

« Recherche : mannequin féminin pour telle publicité de tel produit »

*Même pas la peine de se présenter…*

« Animateur (trice) / magicien(ne) dans un restaurant à thème »

*Certainement pas. Je hais les enfants…*

« Aide en vente d’objets électronique. Minimum de connaissances requis »

*Hm… pourquoi pas, allons voir ça de plus pret.*

Elle entra dans une boutique de gadgets électroniques derniers cri où une foule de personne faisait la queue et testait des produits. Beaucoup devaient venir pour l’annonce ce qui amenuisait ses chances d’avoir le poste à mi temps. Elle parcourut quand même la pièce et se prit à admirer les objets présentés, touchant par curiosité une carte holographique qui s’alluma. Une petite croix clignotait et signalait l’endroit précis où elle se tenait. En touchant du bout des doigts l’hologramme une seconde fois, la carte se fit moins précise et elle put voir la localisation exacte de Black Hole dans tout un périmètre de plusieurs kilomètres. Alors qu’elle était prise dans sa contemplation, elle se fit bousculer. Elle en avait oublié l’étroitesse de la boutique.

Elle eut alors besoin de respirer tout d’un coup s’apercevant de la chaleur ambiante. Tous ces gens étaient entrain de s’agiter et de transpirer, apportant une impression de lourdeur et de stress à la pièce. Elle se retourna vers la sortie et fut à nouveau bousculée, mais plus fort cette fois-ci au point de tomber sur les fesses. Elle vit une cascade de cheveux d’une blancheur incomparable ainsi qu’un visage blanc et glacial lui faire face. Ce regard la figea sur place, étonnée à la fois de croiser un tel personnage sorti tout droit d’un conte de fée et de ressentir un malaise, chose assez rare chez elle. C’est alors qu’elle vit son uniforme. Il était lui aussi à l’Académie. Elle se resaisit, passant une main derrière l'oreille pour remettre en ordre ses cheveux.

Elle était tombée sur les fesses afin d’éviter de chuter la tête la première dans la vitrine ou de faire tomber les différents objets autour d’elle. Sa chute s’était donc plus apparentée à un exercice de contorsion qu’à une simple glissade. Heureusement, elle s’était à peine éraflée la main en se réceptionnant. Elle s’en tirerait surtout avec un mal fessier pendant un ou deux jours maximum. Elle en avait conscience à cet instant, elle était ridicule. Elle n’eut le temps de souffler qu’un :

« C’est vraiment pas commode de circuler par ici… »

Ce fut la première chose qui lui passa par la tête. Bouillonnant de l’intérieur de rage, elle se dit alors qu’elle aurait mieux fait de rien dire. Elle n’aurait vraiment pas du rentrer dans ce stupide magasin. Alors qu’elle se demandait ce qu’elle faisait là, elle s’aperçut qu’une main était tendue vers elle.

Selwyn ne put dévier son regard de ces yeux qui la fixaient. Ce qui l’étonnait le plus c’était cette pâleur fantomatique et la blancheur de ses cheveux, en opposition totale avec la jeunesse de ses traits. Son regard était quant à lui transparent, comme si tout son être était voué à être invisible. Elle voulut se ressaisir pour ne passer pour quelqu’un qui admire une bête de foire. Elle dévia son regard, le focalisant sur le sol, se sentant légèrement rougir, la bouche pincée, partagée entre la colère et la honte. Elle hésita à accepter sa poignée de main, sentant qu’il se sentait tout aussi gêné quand il crispa celle-ci. Certainement qu’il avait deviné qu’elle était franchement en colère. Cette pensée lui dit alors de se calmer. Après tout il avait eu la gentillesse de s’enquérir après elle. Elle n’était certes pas habituée à ce genre de manières, elle n’en était pas non plus un ours –ou du moins pas tout le temps. Elle ne sut pas tellement quoi répondre, préférant alors prendre la main toujours tendue vers elle et elle fut alors sur ses deux pieds en une seconde. Elle essuya énergiquement son pantalon qui était quelque peu poussiéreux. Ce fut à ce moment là qu’elle s’aperçut à son uniforme qu’il était lui aussi en quatrième année. Jusqu’à présent, elle n’avait vu aucun premier année comme elle. Ce garçon devait avoir dans les dix-huit, dix-neuf ans. Soudain elle se rendit compte qu’il la vouvoyait. Elle eut envie de pouffer, mais cela n’aurait pas été trop poli. Elle décida alors de prendre l’air le plus sérieux possible et répondit :

« Merci… non ça va je n’ai rien, à part deux ou trois égratignures… mais je crois que je vais survivre à cela. » Elle croisa à nouveau son regard, tentant un maigre sourire et continua :

« Je ne saurai dire si c’est bien toi… » Elle avait décidé de le tutoyer pour lui montrer que d’un point de vue de l’âge ils étaient vraiment proches. « Mais en tout cas, merci, si tu n’étais pas venue me secourir j’aurais été écrasée par une foule d’amateurs de gadgets électroniques… » Les mots étaient sortis tout seul et elle eut presque honte de les prononcer aussi naturellement.

Elle baissa son regard et vit où elle était tombée. Cela semblait irréel. Elle s’était agrippée à une table métallique juste derrière elle où étrangement une très vague marque de doigt était incrustée sur le dessus. Quand elle la vit, cela lui rappela son pouvoir qui, jusque là, l’avait empêché de s’être jamais fait mal. Ainsi, elle devait faire plus attention à la protection qu’elle maintenait autour d’elle et à sa force si elle ne voulait pas se faire repérer. Décidément, cela avait été une erreur de venir dans cette boutique... Elle soupira puis s’aperçut qu’elle était repartie dans ses pensées et que le garçon dont elle ne connaissait toujours pas le nom devait la regarder étrangement.

Celui-ci avait dans les mains un agenda électronique de couleur grise. Lui au moins n’était pas venu pour l’annonce. Cela lui donna une idée pour se présenter. Peut-être qu’ensuite il lui donnerait des tuyaux pour l’année. Elle s’éclaircit la voix et dit d’un air détaché :

« Je vois que tu es ici pour l’école, pas mal ton agenda... Moi j’ai celui que l’Académie a donné à mon arrivée. Au fait, moi c’est Selwyn Prewett. Je suis en première année. » ce fut à son tour de présenter sa main pour la lui serrer.

A bien des égards, la technologie se révélait fort utile, mais elle prenait bien soin de cacher ses contreparties négatives. Hélas, celles-ci refaisaient surface de temps en temps. Et se retrouver à deux doigts d’être piétinée par une foule de ‘technologues addicts’ en était une des dernières démonstrations. Tristan tenta d’afficher un air parfaitement naturel pour dissimuler son ressenti et ça avait l’air de plutôt fonctionner. Il remarqua l’hésitation de la jeune fille à prendre la main qui lui tendait, mais il ne lui en tenu pas rigueur. Sans doute avait-elle remarqué de son côté son attitude légèrement crispée. Mais celle-ci sembla finalement décider qu’il ne la mangerait pas et elle saisit la main de Tristan. Le jeune homme frissonna légèrement au contact de la main féminine sur la sienne mais d’un coup vif et habile, il redressa la demoiselle sur ses deux pieds, comme si elle n’avait pas été plus lourde qu’une plume.

Tristan continua de l’observer avec son regard cristallin et lui sourit lorsque l’inconnue affirma qu’il n’était peut-être pas responsable de sa chute. Il remarqua également qu’elle le tutoya directement - il l’avait vouvoyée par habitude, on lui avait toujours appris à être poli avec les inconnus- et en fit autant.

"Tu m’en vois ravi, un instant j’ai cru que j’en étais responsable. Il regarda autour d’eux, la foule sembla se dissiper légèrement. Mais, de rien, ce fut un plaisir de te secourir, continua-t-il en reportant son attention sur la demoiselle

Ses dernières paroles le firent sincèrement sourire. Il avait plus d’une fois pensé la même chose et il hocha la tête, approbateur en ignorant la honte passagère de son interlocutrice.

"Oui, on dirait qu’une fois entouré de tous ces gadgets, il n’y a plus que ça qui compte… "

Bien triste constatation selon Tristan, mais qui malheureusement, semblait de plus en plus se généraliser. La jeune fille orienta soudain la discussion vers l’école en voyant l’agenda dans les mains de Tristan.


"Oui, en effet. Je me souviens de ceux qu’on a reçut en première année, ils n’étaient pas super pratiques. Si tu en cherches, ils sont là-bas, il indiqua le fond du magasin. J’essaie ce modèle cette année, ils ont l’air simples mais fonctionnels."

Sans prévenir, la jeune fille se présenta en lui tendant cette fois elle-même la main. Tristan, confus, se mordit la lèvre de ne pas y avoir songé plus tôt. Ca aussi, on le lui avait enseigné. Il prit la main frêle tendue vers lui et fut surpris par sa fermeté.

"Et moi, Tristan, Tristan Isaac, en quatrième année. Je ne pense pas qu'on se soit déjà croisés, répondit-il d’un ton neutre.

En effet, si cela ne tenait qu’à lui, il ne serait pas à l’Académie mais personne ne devait savoir ce qu’il pensait vraiment de sa situation. Son père ne le lui pardonnerait pas et puis... il avait une promesse à tenir.

Tristan…Isaac… ce nom lui disait vaguement quelque chose mais peut-être avait-elle rêvé. Elle décida de ne rien paraître et lui répondit d’un ton ferme qu’elle était ravie de faire sa connaissance. Sa main était froide et elle prit une attention particulière à ne lui écraser aucun doigt, mesurant sa force après l’incident précédent. Soudainement, ses paroles à propos de son agenda lui rappelèrent qu’elle ne pourrait pas s’en payer un neuf à moins de commencer un job à temps partiel… et ce pourquoi elle était entrée dans ce magasin. Mais à voir la foule qui se pressait, elle préféra ne pas aller plus loin. Elle soupira à ces pensées car ce n’était pas dans ses habitudes d’abandonner et se surprit à dire tout haut :

« Et moi qui étais venue ici pour trouver du travail, autant trouver autre chose…Ici ça serait un véritable enfer ! En plus c’est vraiment mal payé…»

En réalité, le poste était suffisamment payé, d’autant plus qu’elle avait des connaissances en technologies du niveau de l’Académie et donc amplement suffisantes pour tout le magasin. Mais elle se dit intérieurement qu’il était peut-être mieux de se contenter d’un poste de serveuse dans un café peu réputé, quel qu’il soit. Elle ne devait pas attirer l’attention sur elle et donc éviter la foule, même si paradoxalement celle-ci fournissait un certain anonymat. Il fallait qu’elle reste discrète d’autant plus que les précédents évènements entre Originels et Améliorés n’avaient pas arrangé les relations entre les peuples. Ce serait pire que tout si on soupçonnait qu’elle avait un quelconque pouvoir du niveau d’un amélioré. A peine rentrée à l’Académie et elle voyait une nouvelle fois les contraintes de sa nature. Elle trouvait cela tellement injuste encore une fois. Elle osa regarder le jeune homme dans les yeux pour voir sa réaction.

Plus elle le dévisageait et plus le regard cristallin de ce jeune homme ne cessait de la fasciner. Toute cette blancheur, s’en était trop pour elle et tellement...étrange Elle voulait se ressaisir mais c’était tellement difficile quand il plongeait ses yeux dans les siens en souriant. Elle eut un mouvement de recul et frôla l’épaule d’une épaisse femme derrière elle qui faisait la queue depuis le fin fond de la boutique. Celle-ci se retourna et dût lui lancer sa pire mimique de dégoût qu’elle avait en réserve pour lui témoigner son mécontentement. Selwyn resta béate devant tant de puérilité. Les gens étaient vraiment étranges dans cette ville. La jeune fille se racla la gorge et dit tout bas comme faisant une confidence à Tristan :

Finalement, la jeune fille en face de lui sembla se détendre et il en fit de même. Selywn lui expliqua qu’elle était ici pour chercher du travail et non un agenda comme lui. Lui-même ayant un petit job le week-end, il comprenait son désarroi. Il n’était vraiment pas facile de se trouver du travail, il en avait fait la triste expérience avant elle. Il s’était fait plusieurs fois fait claquer la porte au nez avant de finalement tomber sur son actuel patron qui avait accepté de le mettre à l’essai avant de l’engager. Une idée lui traversa d’ailleurs l’esprit.

"Tu sais, ce n’est jamais évident de trouver du travail, encore moins quelque chose de bien payé, mais ça peut peut-être s’arranger. Je travaille le week-end dans un bar du centre ville, tu peux toujours t’y présenter. Mon patron t’engagera peut-être. Par contre, j’ignore si c’est mieux qu’ici" acheva-t-il en rigolant légèrement

Les débuts de Tristan dans le bar ne furent pas de tout repos avec toutes les émotions qui flottaient dans l’air mais il s’était accroché, trop content d’avoir enfin trouvé quelque chose qui lui convenait plus ou moins au niveau du salaire. Et aujourd’hui, son patron ne tarissait pas d’éloges sur le travail de son jeune employé, lui qui au début avait tant hésité à l’engager rien qu’en voyant sa carrure plutôt frêle. Autant dire aujourd’hui qu’il ne regrettait pas de lui avoir donné sa chance.

Alors que Selwyn l’observait, elle s’attira les foudres d’une grosse dame qu’elle bouscula par inadvertance. Elle lui confia alors qu’elle n’était pas issue du milieu urbain. Tristan lui sourit. Il n’était pas vraiment originaire non plus des grandes villes, ayant vécu sur Challenger, mais cela avait au moins l’avantage qu’il ne souffrait pas de la promiscuité qu’offrait les villes par rapport à la campagne.

"Eh bien, d’après ce que j’ai pu en observer depuis que je suis ici, oui. Les gens de la ville sont toujours comme ça. Ils ne prennent plus leur temps pour s’arrêter un peu et profiter de la vie… "

Tristan accepta volontiers sa proposition, ayant trouvé ce qu’il était venu chercher, ils se dirigèrent vers les caisses.

"J’ai fini, ne t’en fais pas, je n’avais besoin que d’un agenda. Et puis, je t'avoue que la foule m'énerve un peu aussi"

Une longue file les attendait encore avant de pouvoir sortir du magasin et pour éviter que le silence ne s’installe entre les deux jeunes gens, Tristan tente de poursuivre la conversation.

"Alors, prête pour commencer les cours ?"

"Tu sais, ce n’est jamais évident de trouver du travail, encore moins quelque chose de bien payé, mais ça peut peut-être s’arranger. Je travaille le week-end dans un bar du centre ville, tu peux toujours t’y présenter. Mon patron t’engagera peut-être. Par contre, j’ignore si c’est mieux qu’ici"

A ces mots, Selwyn bondit sur ses pieds. Un bar ? Pourquoi pas après tout, peut-être était-ce le plan idéal pour ne pas se faire remarquer. Elle n’avait jamais travaillé dans un genre d’endroit et ses facultés spéciales ne trouveraient que peu d’espace pour se manifester. Et puis elle n’avait pas le choix, elle devait trouver vite un plan normal avant d’être vraiment intégrée à l’Académie. Elle se dit alors que les formules d’usages étaient peut-être de bons tons :

« Eh bien merci, ce serait vraiment très gentil de ta part de me tuyauter. Tu crois qu’il prend des filles, qui plus est des filles de l’Académie ? Et pour ce qui est d’ici, je pense que ça sera mieux, j’étouffe littéralement, je ne crois pas qu’on puisse faire pire. »

Ils lui manquaient ses grands espaces désertiques, son sable à perte de vue et l’unique sifflement du vent dans les hauteurs caillouteuses. Mais elle devait s’y faire, elle en était capable, ça n’était certainement pas le moment d’avoir des instants de nostalgie. En fait, elle n’imaginait pas que la séparation allait être si dure. Mais après tout, peut-être était-ce une sorte de drogue. Comme si on mettait un alcoolique dans un bar rempli de bières pendant des années et qu’on lui coupait du jour au lendemain sa boisson sacrée ; Selwyn avait vécu ses plus belles années dans le désert et se retrouvait à la ville. Une ville stressante qui plus est. Elle était déjà las de ses habitants. Cependant le jeune homme avec qui elle discutait allait peut-être rendre son séjour plus… attrayant.
Ils se dirigèrent vers les caisses.

Ils étaient derrière des adolescents boutonneux, très loin du profil des élèves de l’Académie. Habillés dans des vêtements que Selwyn jugea de très étranges mais qui devaient être à la mode. Des bouts de vêtements d’astronautes, des lentilles aux couleurs étonnantes aux yeux et des espèces de tongs aux pieds…oui, « étranges » était vraiment le premier mot qui venait en tête de Selwyn. Mais Tristan l’arracha vite de sa contemplation en lui posant une question.

"Alors, prête pour commencer les cours ?"

La jeune fille se tourna alors vers son interlocuteur et répondit d’un air calme et détendu sans plus de frivolité ce qu’elle pensait réellement.

« Oui, c’est bien pour ça que je suis là après tout. J’ai hâte de découvrir ce qu’on nous prépare. Mais j’ai encore plus hâte de voir les appareils en fonctionnement. Je n’en ai jamais piloté et il me tarde d’essayer. »

A ses mots elle eut une forte migraine, chose assez rare chez elle. Elle mit cela sur le compte de l’ambiance pesante de la pièce et souhaita intérieurement partir le plus vite de cet endroit.

"Et toi, tes trois années se sont-elles bien déroulées dans l'Académie? Tu dois avoir envie de voler de tes propres ailes, non?"

Apparemment sa proposition semblait faire plaisir à la jeune fille et Tristan s’en félicita. Il aimait quand les personnes qui l’entouraient se sentaient bien et pas seulement parce que cela lui permettait de se sentir bien aussi. D’un naturel bienveillant, Tristan ne pouvait s’empêcher de veiller sur les autres. C’est pourquoi, il pensait particulièrement qu’il n’avait pas vraiment sa place à l’Académie, mais des instances supérieures avaient décidé à sa place. Enfin, une instance en particulier…

Lorsque Selwyn lui répondit qu’elle était prête à commencer les cours, elle aborda aussi directement le sujet préféré des étudiants, le pilotage, et plus particulièrement les heures pratiques avec les Armures Mobiles. Tristan sourit. Contrairement à la grande majorité des élèves, il ne se voyait pas du tout à bord d’un de ces engins, c’était même avec plaisir qu’il laisserait sa place à quelqu’un d’autre s’il en avait l’occasion. Cependant, pour le moment, il garda bien secret ses intentions.

"Si tu en as la volonté tu les piloteras mais…, il s’interrompit, ne voulant pas lui donner de faux espoirs, il faudra te donner à fond et surtout, tu ne pourras le faire tout de suite. Au mieux, tu pourras assister à notre entraînement pour te faire une idée de ce qui t’attends"

Lorsqu’il se sentit de nouveau vaguement envahi par un sentiment de malaise qui n’était pas le sien, Tristan sut qu’il était temps de s’en aller et il invita Selwyn à le suivre hors du magasin. En chemin, celle-ci l’interrogea sur ses années passées à l’Académie. Honnêtement, Tristan aurait préféré éviter le sujet, mais ça aurait été impoli de sa part. Il tenta donc de répondre tout en restant assez vague.

"Jusque maintenant, ça s’est bien passé. Pas tous les jours facile, il faut s’accrocher pour réussir. Et puis comme partout, il y a des cours dont on se passerait bien et d’autres beaucoup plus importants. Voler de mes propres ailes ? Hum… c’est assez paradoxal, mais d’un côté j’a hâte d’en avoir fini, de l’autre non…"

En avoir fini pour ne plus être condamné à passer ses journées à l’Académie, mais pas pressé de se retrouver sur les champs de bataille ou bien plongé au cœur du conflit ambiant. Etant Mixte, Tristan savait qu’il ne pourrait jamais choisir un camp… Donc oui, c’était totalement paradoxal pour lui en ce moment. Et pour éviter de se casser la tête, il tâchait de ne pas se projeter dans le futur trop tôt

"Au fait, où veux-tu aller maintenant ? Un endroit où il n'y a pas trop de monde peut-être ?"

Selwyn réfléchit aux paroles du jeune homme. Oui, décidément elle était prête à se sacrifier afin de poursuivre son rêve et elle était déjà passée par de moments très difficiles, donc elle ne voyait pas où était le problème. Elle prit son sourire pour une anecdote qu’il avait en tête et ne se douta pas un seul instant qu’il était loin d’être le futur soldat tout droit sorti de récits épiques. Elle l’enviait, il pouvait mettre en pratique ses connaissances, Selwyn devait d’abord les acquérir.

Elle s’imaginait déjà piloter une des armures mobiles et défendre sa patrie avec fierté. La plupart des filles de son âge pensaient à des choses futiles, certaines à des études qui les maintiendraient loin de la guerre. Mais Selwyn n’était pas de celles-là et ce parce qu’elle avait grandi dans un environnement si particulier. A la mise en garde de Tristan, elle resta donc assez perplexe.

Cependant le jeune homme dévia la conversation, ce qui indiqua à la jeune fille qu’il souhaitait certainement ne pas insister sur ses envies. Elle avait encore beaucoup de questions à lui poser mais elle lui répondit sur un ton plaisantin, et cela était difficile pour elle de ne pas se montrer trop agressive :

Il était d’autant vrai que sa vie passée dans le désert l’avait contraint à respecter les pratiques musulmanes des subsahariens : pas de jeux d’argent, pas de porc, pas d’alcool et cela ne l’avait jamais intéressé. Elle avait suffisamment de mal à cacher ses pouvoirs et donc avoir pleine maîtrise de ses pouvoirs, si elle devait devenir saoule, qui saurait ce qu’il lui adviendrait ?

La jeune fille se mit à marcher et ils sortirent enfin de la boutique, les achats de Tristan dans un petit sac. Elle put enfin respirer et se détendre car il y avait plus d’espace. Alors qu’ils se dirigeaient vers la sortie du centre commercial, Selwyn se tourna vers son nouvel ami et lui demanda :

Donc ce garçon venait de Challenger ! Il n’avait pas précisé s’il était mixte ou pas et la jeune fille en conclut qu’il était un peu trop tôt pour le savoir. Il n’était certainement pas prêt de lui confier tous ses petits secrets. Mais intérieurement elle se conforta en pensant que s’il l’avait été il n’aurait pas été pris à l’Académie. Pour la jeune fille, être mixte à l’Académie c’était un peu comme se tirer une balle dans le pied.

Selwyn acquiesça pour aller dans un endroit un peu différent, et d’autant plus si cet endroit était plus naturel et habitait un climat plus proche de ce qu’elle connaissait. A l’allée elle n’avait presque vu aucune végétation, à peine quelques arbres en très mauvais état. Mais la ville était en mouvement, en constante évolution, comme vivante. Il y avait tellement de gens que ça étourdissait un peu la jeune fille qui n’était pas habituée à toute cette agitation. Elle prit son temps sur le chemin pour répondre à la question qui lui avait été posée.

« En fait je viens de Mauritanie, dans le Sahara… oui je sais, ça a l’air étrange comme ça, mais j’ai grandi et j’ai été élevée dans une tribu nomade. »

Elle s’était sentie obligée d’expliquer car le jeune homme devait se poser des questions. Elle n’avait aucun trait arabe et encore moins la peau noire même si elle gardait son teint sablé. Elle n’aimait pas non plus parler de ses origines même si elle gardait un très bon souvenir de ses hôtes et amis. Cela lui rappelait qu’elle n’avait aucun lien de parenté avec eux et qu’elle avait vécu ses douze premières années dans des conditions secrètes.
Elle ajouta dans un soupir:

« Donc ça explique mon malaise dans cette grande ville, j’ai du mal à m’y adapter… mais bon, il faudra bien que je m’y fasse et puis quand les cours commenceront je n’aurai pas le temps de me tracasser pour si peu… »

Ils arrivèrent aux portes du parc qui était gratuit à tous les étudiants, entrèrent pas un premier sas puis dans un second où la température augmenta. La jeune fille se défit de sa veste et la mit au vestiaire prévu à cet effet. Il n’y avait personne à part les deux futurs académiciens, comme si la nature n’intéressait plus personne dans cette ville. Ils croisèrent les dernières espèces de grands chênes d’Amérique, de cerisiers japonais, d’hévéa et d’autres arbres qui existaient encore dans la nature au 21ème siècle. Au département des plantes arides, la jeune fille s’arrêta devant un cactus qu’elle montra du doigt à Tristan. Au bout de la plante couchée au sol se trouvait une minuscule fleur blanche.

« Regarde, c’est une des rares plantes du Sahara qui donne des fleurs aujourd’hui. On l’appelle chez nous Anfal, ce qui veut dire porte-bonheur. On dit qu’en croiser est signe de chance, mais ça veut surtout dire qu’une oasis n’est pas très loin. Elle est pleine d’eau donc quand tu la manges, tu peux encore survivre avant de trouver la source. Mais tu dois déjà savoir pas mal de choses si tu viens ici de temps en temps. »

Elle s’éloigna un peu, un sourire mystérieux, quoique un peu inquiétant, aux coins des lèvres et regarda une autre espèce un peu plus loin. Quelques minutes après, dans un autre couloir elle lui demanda :

« Au fait, tu as des projets d’avenir après l’Académie ? Tu retournerais à Challenger?»